#Rêvetavieencouleurs
« N’oublie pas que tu vas mourir », dit-elle d’un ton vicieux en inspectant sa prise qui sue des gouttelettes glissant sur sa peau rouge d’émotion.
J’ai tout planifié et organisé. Les divers ustensiles nécessaires à la délicate opération jonchent la table, dont mon dernier achat, un couteau affûté par le rémouleur du marché. Je prépare le terrain en catimini, car je me doute que la vue du matériel va déclencher cris et émois. « Je ne veux pas, j’aime pas ».
Et si j’en ai envie ?
Je suis les instructions à la lettre : douche sous l’eau froide pour rafraîchir et attendrir la chair. Mon statut m’oblige à de nombreuses précautions. Pour me préserver de la listériose et de la toxoplasmose, j’ai exclu les fromages au lait cru, la charcuterie, les tartares… et je lave très soigneusement les légumes et herbes aromatiques. Exit les crustacés, l’alcool, le café et le thé. Je ne suis pas un ayatollah de l’aseptisation, mais porter la vie me met face à mes responsabilités.
Me remémorant subitement ce qui m’attend, je cesse de rêvasser et accélère. Aussitôt le dos tourné, ma proie se sauve, la diablesse, dévalant la planche sur laquelle j’avais pris soin de la déposer méticuleusement.
Vite, attraper le couteau.
Dès l’incision, un jet rouge s’échappe et vient atterrir sur le blanc immaculé de la crédence. Le liquide pourpre asperge mes doigts et s’écoule imperturbablement sur mes pieds, parsemant le carrelage gris béton de taches que je m’empresse d’essuyer du revers de la main. Je me saisis du couteau et effleure de la lame sa peau, souple et perlée. Je presse l’enveloppe charnue fraîchement découpée et d’un doigt goûte la mixture.
Un cri d’horreur m’interrompt dans mon action.
- Non maman ! Par pitiéééééé. Pas ça, je t’en supplie.
Surprise, je lâche le couteau qui rebondit sur le plan de travail, dont la lame maculée de jus écarlate éclabousse la figure de mon bout de chou hystérique.
La tomate n’est pas son amie.
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