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  • blandinebergeret21

J'aurais aimé te dire, extrait...




Journal de Madeleine


J’ai vécu les affres de la guerre, du conflit franco-allemand. J’ai souffert des privations engendrées, des tickets de rationnement qui nous laissaient affamés. La maman nous octroyait à chacun un quignon de pain, avalé en une bouchée par mes frères, tandis que mes sœurs et moi le conservions en bouche quasiment toute la matinée. Mais malgré la peur des lendemains, la faim sans fin, nous étions ensemble, unis pour tenir le coup.


Les Allemands sont arrivés aux portes de Dijon en juin quarante. Nous avions regardé, abasourdis, les chenillettes allemandes parader. Nos différences d’âge et de taille nous permettaient une vue imprenable à travers les interstices des persiennes closes, notre mère devant, toute menue, à la limite du nanisme, un mètre quarante-huit. Les conversations de mes frères et sœurs me terrorisaient. D’une voix basse, la mine sévère, à se ronger les ongles jusqu’au sang, ils évoquaient la venue des Boches, la violence des soldats, qui allaient nous violer et nous tuer. Je les croyais, car la ville avait été désertée, une partie des habitants avait pris la route pour le sud de la France, moins exposé, et l’autre moitié était retranchée derrière les portes et volets fermés. Nous n’avions plus le droit de traîner dans les rues, le boulevard était vide, le quartier angoissé. Mais nous étions douze, papa, maman et mes neuf frères et sœurs.


Âgée de dix ans, j’ai gardé en mémoire les faits les plus effrayants. Lors des attaques des avions qui lâchaient des bombes et mitraillaient tout sur leur passage, nous nous précipitions à la cave. Je sortais de mon lit et courais m’y réfugier. Le silence régnait dans cet espace réduit, à part les gargouillis de nos intestins qui se lâchaient dans une puanteur noire. J’étais effrayée par les détonations, les sirènes, le vrombissement des moteurs, l’éclatement des obus, les déflagrations étourdissantes. Je me bouchais les oreilles avec les doigts. La terre tremblait. Moi également. Mais nous tremblions en chœur, réunis par la peur.


Le reste de l’histoire a été comblé par les plus grands. Les rumeurs sur les Juifs, leur enfermement dans des camps, ce qui me semblait incompréhensible. Je les voyais déambuler avec une étoile jaune cousue sur leurs paletots, que j’assimilais à une marque de distinction, une décoration joyeuse et lumineuse en cette période funeste. J’ai vécu une enfance malheureuse, les premières années de mon existence marquées par le manque, mais nous étions ensemble à colmater nos plaies. 

 


Extrait de mon 2ème roman

Avril 2022



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