Je suis ainsi et l’ai toujours été, enfin il me semble…
Je suis insensible à mon entourage, insouciant à mon environnement. Mes expressions sont pauvres, le sourire rare, mon faciès de glace et je manifeste peu d’émotions. Je suis censé ne rien ressentir et arborer un sérieux sans faille.
Voilà ce que j’entends chuchoter autour de moi. Je n’en crois rien car en vérité, je traverse les moments présents avec intensité. Je n’ai pas besoin d’exprimer mes sentiments par le biais de mimiques ou de grimaces, je les discerne au plus profond de moi.
Ils prétendent également que je suis un être fragile, mais c’est au contraire ce qui constitue ma force. Ils ne savent jamais à quoi, ni comment je vais réagir. Je pleure et dans la minute qui suit je ris aux éclats. Un détail peut me rendre heureux ou malheureux, c’est selon. C’est, paraît-il, lourd à supporter quelqu’un dans mon genre.
Pourtant, je suis extrêmement simple. Je pense qu’en réalité, je suis moi-même, sans artifice, ni grimage, ni maquillage. Parfois, sans motif apparent d’après eux, je me renfrogne et telle une huître, je me ferme et m’enferre dans ma coquille. Dans les faits, comme tout un chacun, j’ai envie d’être seul, tranquille, au calme. Est-ce un mal ?
On me décrit le regard fuyant, vide et transparent. Il est vrai que j’évite sciemment et constamment les face-à-face mais de nouveau, ils se leurrent. Ils pensent que mes œillades en biais sont le signe d'un manque de franchise et d’un caractère pernicieux. En vérité, ils m’indiffèrent, alors quelle nécessité aurai-je à les fixer dans le blanc des yeux et à simuler la curiosité ?
Ils me reprochent d’être introverti, discret, réservé et timoré. Je ne dis mot, c’est différent. J’observe ce qui m’entoure avec attention : les fleurs, les objets et les insectes mais surtout, j’ai une passion pour les volatiles. Je ne me lasse pas de recenser les oiseaux qui, d’un battement d’ailes, se soustraient à ce monde si intolérant et intransigeant pour des contrées lointaines et accueillantes. Les gens, en revanche, ne m'intéressent guère : ils parlent, s’écoutent disserter et cet exercice me fatigue. Ils font des hypothèses, tirent des conclusions et m’accusent avec des mots savants et fumeux de stéréotypie et d’écholalie mais au fond, qu’y connaissent-ils ?
Selon eux, je suis un être asocial. J’évite et refuse sciemment la relation avec autrui. Je devrais m’efforcer de lier connaissance, arborer une mine enjouée et avenante pour favoriser les contacts. Ils sont persuadés que j’en suis incapable. Cela n’a rien à voir, je n’en ai tout simplement pas envie. En dépit des apparences, je ne suis pas un marginal. Certes, je ne rentre pas dans le moule, c’est indiscutable, mais l’essentiel, c’est ce que l’on vit à l’intérieur et moi, je me sens pleinement épanoui et riche de mes particularités. Ainsi, j’existe dans ma bulle, imperméable et imperturbable à ceux qui me parasitent.
Ils ont le don de m’énerver avec leurs convictions ! Alors je fulmine, m’emporte et eux se plaignent de ces brusques mouvements. C’est mal, soi-disant, de se comporter de la sorte. Moi, je ne me pose pas de question sur la bienséance. Je ris lorsque je suis en joie, je pleure quand j’ai mal et si je suis en colère, mes joues virent au rouge. Je suis en accord avec ce que je ressens et le qu’en dira-t-on m’importe peu.
La peur et la surprise me sont totalement inconnues. Une affabulation de plus ! Mon visage n’en porte pas les stigmates, mais elles cohabitent en moi et la chose est encore plus terrible. Je n'apprécie ni l'un, ni l'autre et tout mon être se contracte à la rencontre de l'inconnu. En revanche, je n’éprouve pas le doute, la culpabilité, le regret ou la jalousie alors que je constate de leur part des appréciations malveillantes à mon égard : mépris, gêne, jugement… Le regard d’autrui ne me touche pas, pas plus que le mien n’atteint le leur. Je suis loin, si loin de tout ça.
Lorsqu’ils m’invitent à raconter ma journée, je m'y refuse tout net. Non que j’y mette de la mauvaise volonté. C’est terminé et je ne vois pas l’intérêt de revenir en arrière. Leurs sollicitations m’agacent et génèrent des poussées d’anxiété incontrôlée. À la base, je ne suis pas d'un tempérament inquiet, angoissé, ni même tourmenté. Ce sont eux qui engendrent ces réactions et ces attitudes hostiles. Dans ces cas-là, ma tête se met à dodeliner tel un métronome, mes yeux flottent dans le bleu du ciel et ma bouche s’ouvre béante prête à hurler.
Vous ne me connaissez pas, vous êtes plein de certitudes mais au fond, vous ignorez comment sont ceux de mon espèce.
Autoportrait, Eliot, 48 ans, autiste.
Prix spécial de l'appel à nouvelles de la ville de Saussayes sur le thème de la Résilience – mars 2021
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